Entretien avec Pascal Farjot, ex-président du syndicat ITEA
La filière de l’eau a connu de nombreux débats dans lesquels ont cohabité des questions techniques, sociales, économiques et environnementales. Quels ont été les temps forts du syndicat ITEA, les grands moments depuis 2005 ?
Le syndicat ITEA, que j’ai eu l’honneur de présider pendant 13 ans, est un syndicat industriel de fabricants français, qui est complétement reconnu par ses pairs et intégré à la filière de l’eau. Il travaille avec efficacité avec l’UIE, fédération dont il fait partie et dont j’ai été vice-président pendant toutes ces années.
Créé en 2005 en remplacement du SNICANA, qui était le syndicat de la canalisation, ITEA s’est assigné trois objectifs prioritaires :
- S’ouvrir à la profession de l'eau (eau potable et assainissement) et pas uniquement aux canalisations mais aussi à tous les composants d’un réseau, pour développer une meilleure connaissance de tout l'écosystème industriel - de la start-up au grand groupe, en passant par le fabricant d'équipement ou de solutions industrielles, les pôles de compétitivité, les centres de recherches.
- Diversifier ses adhérents en associant les PME qui jouent un rôle capital dans les régions au contact permanent des acteurs locaux.
- Exercer une action de lobbying pour promouvoir le savoir-faire des industriels et leur offrir les meilleures conditions pour leur développement.
L’expérience de ces 13 années montre qu’ITEA a nettement contribué à faire vivre le débat, et à étendre les sujets au delà de son cercle.
Notre stratégie de communication a consisté à organiser une réflexion collective et ouverte, à poser les questions publiquement, en toute transparence alternativement aux maîtres d’œuvre, aux maîtres d’ouvrage. Nous avons gagné en légitimité auprès des pouvoirs publics, des élus, des services des collectivités territoriales, des agences de l’eau, des administrations, des bureaux d’étude et des entreprises de pose.
Ces deux dernières années, nous avons axé notre communication sur les conséquences de la décentralisation et des lois Maptam et NOTRe qui confient aux EPCI la responsabilité d’exercer les compétences « eau et assainissement ». Entourés d’experts, alliés à la FNTP et à l’UIE, nous avons rassemblé les recommandations pour être force de proposition et peser dans les débats du Réinvestissement de la France, en rappelant notamment la part que le secteur de l’eau occupe dans l’emploi total et territorial.
En l’espace de 13 ans, les sujets de l’eau ont évolué. La question du prix n’est plus au centre des préoccupations et des textes. Elle a cédé la place à la qualité. ITEA a été moteur et l’un des premiers syndicats à signer une charte de développement durable conjointement avec le CNE et l’AMF, à participer à l’évolution des chartes nationales de qualité d’eau potable et d’assainissement, aux CCTG etc …
Le modèle français de l'eau, instauré par l’Etat, qui repose sur l'eau paye l'eau, c’est à dire un service public de l’eau et de l’assainissement qui doit se financer intégralement en couvrant ses coûts via la facturation du service à l’usager, est quelque chose d'extraordinaire. Le monde entier nous l’envie. Il s'agit de conserver ce système, de le rendre indépendant du budget général et de veiller à ce que la facture d’eau ne paye pas des missions qui relèvent de politiques publiques totalement déconnectées. Dans le cadre des « Assises de l’eau », ce sujet devra prendre de l’ampleur et la filière s’imposer davantage.
Parmi les enjeux d’ITEA, la reconnaissance des normalisations axée sur nos propres produits s’est élevée au rang des priorités. A travers la certification et le respect des normes, notre démarche avait pour but de faire barrage aux acteurs étrangers dont les produits ne répondaient pas aux prescriptions du marché français. Loin d’un débat idéologique, il s’agissait d’être actif sur la question des contrôles pour garantir la qualité et la pérennité des réseaux d’eau potable.
Nous avons obtenu la possibilité de poser une Question orale au gouvernement en séance publique du Sénat et une Question écrite à l'Assemblée nationale. Nous avons déposé un amendement visant à rajouter la certification dans les critères d’attribution dans le cadre des marchés publics. Plusieurs députés et sénateurs nous ont soutenu mais force est de constater que les concurrences extra européennes existent toujours, en raison de l’absence de contrôles efficaces de la DGCCRF. Le résultat de cette action est donc mitigé.
Quels sont les sujets qui restent sensibles ?
Depuis la sixième lettre Itea Infos, nous alertons sur l’état du patrimoine des réseaux et nous nous battons pour que les infrastructures françaises soient entretenues. Le taux de rendement des réseaux de distribution affiché à près de 85 % cache en réalité des inégalités territoriales très fortes. Derrière ces statistiques, il y a des zones rurales qui ne peuvent renouveler leurs infrastructures en raison de la faible densité des collectivités. Les pertes des réseaux dans certaines collectivités peuvent atteindre 60 %.
Nous militons pour un changement d’échelle, pour une solidarité urbain-rural qui subvienne à la rénovation du patrimoine des petites municipalités. Les services de l'eau des grandes villes sont à majorité bénéficiaires et peuvent assumer cette responsabilité !
Au-delà des collectivités, nous pensons qu’il serait vertueux d’impliquer le consommateur dans le lobbying de solidarité à mener auprès des élus. A l’heure où les prix de l’énergie progressent de manière importante et continue, ou des dépenses superfétatoires sont acceptées par les consommateurs, nous avons la conviction que le prix de l’eau peut augmenter. Partage et solidarité sont devenus des réalités. Le consommateur reste avant tout un citoyen.
La filière de l’eau doit envisager l’avenir avec optimisme. ITEA, avec l’aide de l’UIE, a de nouvelles cartes à jouer.
La compétence, l’esprit d'ouverture et le sens du dialogue de son nouveau Président, François Dumez, assureront sans aucun doute le succès de ces missions.
Propos recueillis par Pascale Meeschaert
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